lundi 15 décembre 2008

La charia au secours de la finance française


Pour « moraliser » la finance et relancer l’économie française, Christine Lagarde, ministre des Finances, prêche pour la création de banques islamiques. En temps de crise, on est moins regardant sur la laïcité…

« Nous souhaitons faire de Paris une place plus attractive pour la finance islamique, surtout dans ce contexte de crise, d’excès de crédits, de volatilité et de cupidité. »*Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’auteur de cette phrase n’est pas le représentant d’un fond d’investissement saoudien. C’est juste notre ministre des Finances, Christine Lagarde qui le 26 novembre 2008, lors du 2e Forum français de la Finance islamique, a milité pour une intégration rapide de la finance islamique sur la place de Paris. Étonnant non ! Pas tant que cela…



Les décideurs français qui abordent une problématique comme la construction d’une mosquée ou la création d’une école privée musulmane sont souvent mal à l’aise et bottent systématiquement en touche, en sortant l’étendard de la laïcité. Mais pour la finance islamique, c’est plutôt l’inverse. Est-ce parce qu’en ces temps de crise, elle apparaît comme plus morale ?

Si les placements de la finance islamique dits « éthiques » cherchent aussi à faire du profit, à l’instar du système occidental, ils doivent néanmoins respecter certaines règles, certains principes : l’interdiction de l’usure, de la spéculation, d’investir dans des sociétés contraires à la moralité islamique, etc. C’est surtout un marché mondial qui représente prés de 500 milliards de dollars en moyenne et une croissance de 20 % par an. On comprend mieux les propos très durs de Christine Lagarde vis-à-vis de la finance traditionnelle et son intérêt soudain pour celle islamique.

Aujourd’hui, sur la place de Paris, les financiers et les politiques font un lobbying sans précédent en faveur de cette finance, arguant, la main sur le cœur, que ce système ne pourra être que bénéfique au bon fonctionnement du marché. La plupart d’entre eux font partie de la majorité, comme Hervé de Charette, qui vient de signer la préface du livre collectif : La finance islamique à la française : un moteur pour l’économie, une alternative éthique, édité par Secure Finance. « La finance islamique, écrit-il, loin de représenter un recul, ou une abdication face à la religion, est, au contraire, le signe que l’on peut, avec un peu d’imagination et de savoir-faire, marier tradition et modernité, religion et économie. De ce point de vue, la finance islamique représente une véritable opportunité géopolitique. »

Certes, tout cela part d’un bon sentiment, mais il est clair que cela cache un enjeu financier avant tous.

En effet, La France n’est pas la destination favorite des milliards de pétrodollars du Moyen-Orient, qui atterrissent en priorité sur la place de Genève et de la City de Londres. Dans un contexte de récession et de déficit, Paris voudrait bien profiter de cette énorme manne. Cela passe, entre autres, par l’installation d’une Banque islamique en France, même si la finance islamique existe déjà dans certaines salles de marché parisiennes.

Et la manière des traders parisiens de traiter cette finance en dit long sur leur approche : c’est pour eux avant tout un produit marketing et commercial ! Ils le proposent comme des produits lucratifs et surement pas comme un placement éthique : « Notre client veut de la charia, il faut lui en trouver vite. » On est loin de la moralisation du système…

Mais qu’en pensent les premiers concernés, la communauté musulmane de France ? Un sondage IFOP du mois de novembre 2008, commandé par l’IFAAS** et AIDIMM***, fait ressortir que 47 % d’entre eux seraient intéressés par un contrat d’épargne et 55% par des emprunts respectant l’éthique islamique. Cette enquête démontre de toute évidence que les musulmans sont favorables à cet type finance qui leur permettra d’acquérir un bien immobilier et d’effectuer des placements, sans usure.

Hélas pour eux, ils ne pourront le faire avant plusieurs années !

Si certains n’hésitent pas à faire le tour des pays du Golfe afin d’être les premiers à lancer cette banque extrêmement lucrative, on est encore loin de sa création. En effet, malgré l’insistance des représentants de la communauté musulmane en faveur d’une telle initiative, ce n’est pas une Banque islamique de détail destinée aux particuliers qui devrait voir le jour, mais des banques d’investissement, des banques d’affaires islamiques.

lundi 8 décembre 2008

Natixis, grosse banqueroute pour petits porteurs



De nombreux petits épargnants de banlieue ont acheté des actions Natixis, présentées comme des placements sûrs et profitables. Aujourd’hui, la banque d’investissement fait l’objet d’enquêtes par l’Autorité des marchés financiers et l’action a perdu l’intégralité de sa valeur. Comme pour les crédits revolving, les moins informés sont les plus lésés



« C’est l’affaire du siècle ! », assuraient les agents des Banques Populaires et de la Caisse d’Épargne. Les deux banques mutualistes annonçaient en 2006 à grand renfort d’opérations marketing et commerciales que l’action Natixis serait une opération fructueuse. Quelle affaire effectivement ! Lors de sa mise en bourse, l’action cotait à 15 euros environ, alors qu’aujourd’hui elle est à 1,42 euros, soit une baisse de 90%. Et à l’heure actuelle, elle se trouve sous le coup de trois enquêtes de l’Autorité des Marchés Financiers, le gendarme de la Bourse. Ce qu’on ne dit pas c’est que cette chute vertigineuse lèse surtout de petits épargnants à qui on a vendu des placements sûrs.

Natixis est à l’origine une Banque d’investissement née de la fusion des activités (en investissement) des Banques populaires et des Caisses d’épargne en novembre 2006. Moins de deux plus tard, elle subit de plein fouet la crise des subprimes : en raison de sa spécialisation dans des activités liées aux marchés, c’est l’une des banques françaises les plus exposées.

Loin des salles de marchés de Natixis, les commerciaux de ces banques mutualistes ont commercialisé cette action avec une ardeur sans commune mesure et en insistant sur la solidité du titre Natixis : phoning, mailing, réunion d’information. Selon nos informations, les employés avaient un objectif de vente et percevaient une prime. Il faut aussi insister sur le fait que les Banques populaires et les Caisses d’épargnes étaient directement intéressées aux opérations de souscription, en tant que chef de file des actionnaires.

Qu’en pensent aujourd’hui les petits porteurs, victimes de cette agressivité commerciale ?

Alexandre H., résident à Garges-lès-Gonesse : « J’avais 7 000 euros sur mon compte d’épargne. Mon banquier me contacte par téléphone pour me faire profiter des actions Natixis, en me disant que c’est une banque solide, soutenue par des banques stables et mutualistes. Selon lui, j’étais certain de faire une affaire… Je vois le résultat aujourd’hui ! » Certains clients n’ont même pas eu besoin de se déplacer à l’agence, à l’instar de Marylin P., résidente de Montmorency : « Un soir, ma conseillère me contacte pour me vendre des Natixis, elle me précise que c’est une superbe opportunité. J’ai dit que j’allais pas pouvoir passer à l’agence. Alors elle a proposé de venir chez moi… »

Il y a aussi l’exemple qui m'a été rapporté de ce banquier de la Caisse d’Épargne qui, en se rendant au Commissariat de Police pour faire une déclaration de perte de ses papiers, se fait sermonner par le policier de permanence, car ce dernier avait souscrit pour 1 500 euros de Natixis et on lui promettait une affaire en or…

Dans cette affaire, les banques ont respecté scrupuleusement les règles établis par l’AMF et l’obligation d’information : les documents détaillant les risques de cette opération ont bien été remis aux clients. Mais dans les faits, très peu d’épargnants lisent ces textes, par ailleurs souvent incompréhensibles. Beaucoup se contentent, en particulier les habitants des quartiers, de faire confiance à leur banquier.

Si demain les soupçons de manipulation des cours se confirmaient, il y a fort à parier que Natixis, banque d’investissement de deux grosses banques mutualistes, serait soutenue par l’État pour faire face aux réparations. Et les petits porteurs ?

vendredi 5 décembre 2008

Crédit revolving : un prêt pas très net !


De l’argent disponible tout de suite et sans garanties : voilà ce que proposent ces crédits à la consommation. En banlieue, de surcroît en période de crise, c’est tentant. Mais attention au piège ! Chaker, qui n’a pas travaillé pour rien dans la finance, met en garde les proies faciles

« Allo, M. Nouri ? C’est votre conseiller financier. Je vous appelle pour vous faire une offre ex-cep-tion-nelle ! » En cette période de crise financière, je trouve assez étonnant que mon banquier puisse encore me faire profiter de « bons plans ». Mais laissons-le poursuivre : « Actuellement, nous offrons à nos très bons clients une réserve de crédit permanent, rattachée à une carte de paiement et de retrait et, tenez-vous bien, tous cela gratuitement ! » En d’autres termes, ce qu’on me propose, ce n’est pas de l’« argent gratuit » mais un « crédit revolving ». Si tout le monde s’est déjà vu proposer une telle offre, que ce soit en grande surface, par le biais d’organismes de prêt ou de sa banque, il est plus de plus en plus tentant de recourir à un prêt à la consommation. Mais de quoi s’agit-il exactement ?



Appelé également « crédit permanent » ou « crédit renouvelable », il se présente comme une réserve d’argent permanente, accessible à tout moment et qui se renouvelle partiellement au fil de vos remboursements. Le montant dont vous disposez est déterminé en fonction de vos besoins ainsi que de votre capacité de remboursement. Dans la plupart des cas, vous pouvez l’utiliser librement grâce à une carte de crédit.

Aujourd’hui, ce produit n’est plus seulement proposé par les banques : elles ne détiennent d’ailleurs plus que 8,1% du marché (source UFC Que Choisir). On retrouve ce type de paiement, par le biais d’une carte personnelle ou de fidélité, dans de nombreuses enseignes de la grande distribution (Auchan, Carrefour, Fnac, etc.).

À première vue, ce crédit ressemble à un prêt classique. Pourtant, lorsqu’on y regarde de plus près, on s’aperçoit que le taux de remboursement varie entre 18% et 20%. C’est-à-dire beaucoup plus que les taux immobilier (5 à 6%) ou de consommation (6 à 8%), [source Meilleur Taux]. Et pourtant, ça marche : selon UFC-Que Choisir, le marché du crédit revolving représente 28 milliards d’euros, avec un taux de croissance annuel de 6,94 % !

On comprend alors pourquoi, les agents évitent souvent de préciser les modalités de remboursement. « On doit éviter de parler du taux au client, témoigne sous couvert d’anonymat une télé-conseillère de Saint-Denis, qui travaille pour une société de crédit en ligne. Il faut le vendre comme une épargne de trésorerie que le client pourra utiliser librement. On doit surtout mettre en avant la souplesse et la disponibilité du crédit. » Si la présentation est accrocheuse, la démarche de vente reste agressive, même pour les employés de ces organismes : « Toute la journée le superviseur note sur un tableau, à la vue de tous, les ventes de chacun. Il n’hésite pas à venir nous crier dans les oreilles pour vendre toujours plus ! Le meilleur d’entre nous touche une prime mensuelle qui varie entre 100 et 180 euros. »

La marge importante que touchent les distributeurs, incitent certains à ne pas être trop regardant sur l’endettement du client (obligation légale) et à consulter seulement le FICP (fichier géré par Banque de France pour répertorier les incidents de paiement) et le fichier des interdits bancaires. Cela entraîne certains clients dans des situations d’endettement perverses. Ce sont en effet les plus vulnérables qui font appel aux « crédits revolving », et notamment en banlieue.

Pascal N., 45 ans, témoigne. Il habite Blanc-Mesnil, il est marié et père de 3 enfants. Salarié à la Poste, il touche un salaire mensuel de 1 460 euros net et a sollicité plusieurs des crédits revolving qui existent sur le marché : « Vous savez, les crédits revolving, c’est comme quelqu’un qui est accro à la drogue ou au casino : au début vous prenez une petit revolving de 1 500 euros dans votre banque, ensuite vous allez faire les courses et la charmante vendeuse vous propose un crédit illimité de 5 000 euros à utiliser à votre convenance et sans justificatif… » En un rien de temps, Pascal avait multiplié les crédits et les cartes. Lorsqu’il a atteignait le plafond chez l’un, il utilisait l’autre. « Et cela sans arrêt, jusqu’à que vous receviez des lettre recommandées qui vous disent que la fête est finie. Aujourd’hui je suis surendetté… »

Geneviève A., de Sarcelles, est veuve et femme de ménage à temps complet. Elle perçoit un salaire net de 1 200 euros par mois et a eu recours à un crédit revolving à son insu : « Un jour, je reçois une brochure d’une société de crédit me vantant une offre à moins de 4%. À l’époque j’avais besoin de changer ma voiture et j’ai appelé le conseiller. Quelques jours après, je reçois un dossier pour un prêt de 5 000 euros. J’étais surprise qu’il ne me demande ni le bon de commande de la voiture, ni la facture, mais j’ai fait confiance. » Peu de temps après, elle reçoit l’argent sur son compte. C’est après coup qu’elle s’apercevra que le taux était de… 18 % !

Chaque année, près de 183 000 dossiers de surendettement sont constitués au niveau national, 4 299 pour la Seine-Saint-Denis, d’après une étude du MIPES (Missions d’information sur la pauvreté et l’exclusion sociale). S’il est encore trop tôt pour mesurer les effets de la crise sur le nombre de dossier qu’aura a traité la Banque de France (il s’agit des chiffres de 2007), l’endettement moyen des déposants est de 32 500 euros. La plupart sont dus à l’utilisation excessive des crédits revolving.

Aujourd’hui, compte tenu de la tempête financière mondiale provoquée par la crise des subprimes aux Etats-Unis (crédit immobilier souscrit par des clients déjà fortement endettés et souvent insolvable), certains élus, à l’instar Philippe Marini, le rapporteur général UMP de la commission des finances du Sénat, ont sorti leur révolver contre les crédits revolving. Ce dernier a déposé un projet de loi afin d’encadrer ces crédits et endiguer le surendettement. Une volonté de « surveiller les pratiques des sociétés de rachat et gestion de crédit dont les dérives peuvent être importantes en période de crise »* que partage à présent Nicolas Sarkozy et la ministre des Finances, Christine Lagarde, chargée, depuis mercredi 4 décembre, de présenter elle aussi une réforme.

La crise des subprimes aura au moins eu le mérite de montrer que le surendettement est aussi un phénomène français.